La Mort en Ca$h et en Technicolor …

Face A-Historique. L'actuelle 'Tahana', la 'Gare' en Hébreu, est inaugurée en 1892, alors que Jaffo fait encore partie de l'Empire Ottoman. La ligne de train sera la première au Moyen Orient et reliera la ville portuaire de Jaffo à la ville Sainte de Jérusalem.
Dès 1839, Le Baron Moshe Montefiore, homme d'affaire et philanthrope anglais, s'intéresse à la construction d'un réseau de train au Moyen Orient. Il parvient à convaincre Henry Temple, Premier Ministre Britannique et un accord, en faveur de la construction d'une ligne, est signé entre l'Angleterre et les Ottomans en 1857. Malheureusement, les Ottomans estimant que la route ne serait d'aucune utilité pour la population turque locale et ne desservirait que les populations chrétiens et autres Missionnaires illuminés, entreposent les plans pour une période indéfinie. Dès lors qu'elles ont ouïe des accords entre les Britannique et les Ottomans, d'autres Empires et Puissances Européennes de l'époque se prennent eux aussi d'un intérêt croissant pour le projet; l'Empire Austro-Hongrois, les Allemands, la France, et même les Suisses.
Finalement en 1888, quelque 35 années après la signature anglo-turque, et 50 ans après le premier voyage d'inspection, la concession tant convoitée n'ira à aucune des puissances, ni même aux Anglais, mais sera cédée à un Ingénieur Juif de Jérusalem du nom de Yosef Navon, qui en recevra l'usufruit pour une période de 70 ans. Malheureusement, le projet est bien plus onéreux et bien moins rentable que ne l'avait estimé Navon, et un an plus tard, il se voit dans l'obligation de revendre ses droits à une compagnie de construction … française.

Trois ans plus tard, le premier train quitte la gare de Jaffo en direction de Jérusalem. Le trajet dure alors 4 heures alors qu'il était censé relier les villes en deux heures (… rien n'a changé aujourd'hui).
La ligne est interrompue une première fois durant la Première Guerre Mondiale, et au terme de celle-ci, l'Empire Ottoman est désintégré, parcellé. L'Angleterre, suite au Traité de Versailles, devient mandataires de la Palestine, restaure la ligne et la remet en marche en 1920.
Elle sera utilisée, utilisable et connectée à la ligne costale allemande.   Elle reliera ainsi Beirut au Caire.
1948, Guerre d'Indépendance, ou Naqba, et seconde interruption du service.
Les locomotives ont changées, les rails aussi, les architectes de Tel Aviv ne veulent plus de train coupant à travers la ville.  Ils construisent de nouvelles gares et la Gare de Jaffo est abandonnée et délaissée pendant plus de cinquante ans.
Les bâtiments, pourtant situé face à la mer, entre Neve Zedek et Jaffo, seront cachés du public par des murs et finiront par devenir tantôt le refuge, tantôt le repaire de nombreux squatteurs, SDF, narcomanes et autres spécimens en marge de la société.

Face B-Site. Un beau matin de 2004, un des nombreux bureaucrates de la municipalité de Tel Aviv décide de restaurer le site, et d'en faire un Centre 'Culturel', où de joyeuses familles israéliennes pourraient passer de longs après-midi dégustant glaces et milk-shakes sur le perron de la gare, entre une opérette, une exposition et une représentation théâtrale.
Bien des Appels d'Offres et des disputes plus tard, les travaux débutent en Janvier 2007. La 'gare' est aujourd'hui ouverte au public, et le résultat, est comme trop souvent dans cette partie du monde, décevant.
Mais restons juste et "Redde Caesari quae sunt caesaris", le plus grand 'coup de théâtre' de l'endroit, c'est il n'y reste plus une trace de son âme.
Résultat, l'Ancien Majestueux site de la Gare de Jaffo ressemble aujourd'hui plus à un énième site de commémoration des camps qu'à autre chose.


En deux mots, l'endroit n'a pas seulement perdu son âme, mais en plus de cela, l'atmosphère qui pénètre et prends à la gorge est lugubre, et me fait penser aux Villes Fantômes des Etats-Unis.
Qui plus est, et parce qu’en matière de commémorer les morts et les batailles, il y a plus d'un champion dans ce pays, … il se trouve juste à côté d'un des nombreux Musée de l'Armée.   Les joyeuses familles peuvent ainsi admirer différents engins de guerre et de morts durant leur visite culturelle.

Face C-Exposition. Et c'est dans ce cadre pesant et perdu que Latet a décidé d'organiser une exposition, de type "grand événement". Cette exposition est, sans aucun doute, la plus abjecte que j'ai jamais vue.
Le sujet: Haïti. Après le tremblement de terre, il va de soi.
Latet - qui veut dire 'donner' en Hébreu -, est une NGO Israélienne, fondée en 1996 et dont le but est de venir en aide aux démunis en Israël et à l'étranger. L'organisation, très forte en Israël, où elle aide plus de 50.000 familles en leur apportant nourriture et autres services de base, a déjà apporté son aide à une vingtaine de pays frappés par la guerre et/ou catastrophes naturelles.

Je ne peux pas dire que le soutien que Latet a apporté à Haïti soit, de quelle manière que ce soit questionnable ou reprochable. Bien au contraire, il est très louable.
Quelques 36 heures, après le tremblement de terre, la Mission de Soutien a donc atterri à Haïti, dans le but d'évaluer les besoins sur place. Elle était composée d'une quinzaine de personnes, dont la Directrice, 3 Docteurs, 3 infirmières, 3 auxiliaires médicaux, … et 2 photographes, dont le fameux Ziv Koren.

Le photographe, ou l'artiste, est très bon. Il a débuté sa carrière de photographe durant son service militaire. Dès sa décharge, il continue dans sa lancée et collabore avec plusieurs journaux et services médiatiques israéliens. Il est le lauréat de nombreux prix et ses photos ont été publiées dans de nombreux magazines internationaux, tels le Times, le Spiegel, Paris-Match et bien d'autres et est aujourd'hui reconnu comme l'un des meilleurs photographes de sa génération exposant le conflit israélo-palestinien.


D'un point de vue purement technique, et oubliant, pour un instant seulement, les questions éthiques et morales qui s'imposent d'elle-même, la qualité des que les photos exposées est indéniable et incontestable, à l'image de ce à quoi nous a habitué Koren.
Les prises de vues, les couleurs, les angles, la lumière, tout ce qui doit y être s'y trouve et est magnifié. Évidemment. Non, ce n'est ni la qualité des photos qui dérange et donne la nausée, ni le fait qu'il y en ait.  De nos jours, il est devenu impossible de réveiller la conscience du public s'il n'y a pas photo.  Et tant qu'à faire, autant que les prises de vue soient de qualité.
Ce n'est pas non plus le soutien humanitaire et généreux en provenance d'un pays, qui s'il est mieux loti que l'autre, n'est pas en reste de problèmes et de nécessiteux en son sein, et n'en n'oublie pas moins ses obligations envers le reste de l'humanité.

À la limite, j'ajouterais même qu'une collaboration entre photographe et NGO dans le but de ramasser des fonds, de trouver des donneurs et de parvenir au plus large public possible dans le seul but d'aider les nécessiteux, n'est pas non plus répréhensible en soi.
Ce qui dérange, ce qui pue, c'est l'association des deux au monde sacré de l'Art, avec un 'a' Majuscule.
L'effet ne se fait pas attendre. À peine le seuil franchi, le visiteur est saisi à la gorge. C'est là un amoncellement de débris, de corps déchiquetés ou en diverses phases de décomposition qui s'étale à ses yeux. Il n'y a pas moyen de fuir, pas moyen de regarder ailleurs, pas moyen de faire semblant. Tout est là et saute aux yeux d'une manière obscène.
Ce n'est pas une exposition. C'est une morgue. Et pas n'importe quelle morgue. C'est une morgue en technicolor! C'est une morgue où la misère, la désolation, le désespoir et la mort sont figés côte à côte, le long des murs et sur deux rangées accrochées au plafond de manière tellement géométrique, tellement méthodique et tellement précise. C'est une morgue où tout s'achète et où tout se vend.
Et les couleurs. Tellement de couleurs. Comme les étals de n'importe quel marché dans n'importe quel pays du Tiers-Monde.


Face D-Éthique. Non, ce n'est pas beau. Non, ce n'est pas de l'art. Non, la misère du monde et des gens ne se vend pas en technicolor.
Oui, il faut des journalistes, des NGO, des articles et même, des photos pour raconter ce qui se passe, pour réveiller ceux qui parfois ont tendance à trop dormir, à trop fermer les yeux. Oui, il faut des dons.
Mais, de grâce! Arrêtons de tout mélanger!
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