"L'avenir, n'est pas écrit d'avance, c'est à nous de l'écrire. "

    "Sans les fictions nous serions moins conscients de l'importance de la liberté qui rend viable la vie, et de l'enfer qu'elle devient quand cette liberté est foulée aux pieds par un tyran, une idéologie ou une religion."


    Mario Vargas Llosa, lauréat du Prix Nobel en Littérature en 2010, nous rappelle en quelques mots dans le discours qu'il a prononcé à l'occasion de son acceptation du prix et intitulé "Éloge de la Lecture et de la Fiction" - publié chez Gallimard cette année - l'importance que les mots et les contes ont dans notre vie quotidienne.  Combien ils sont sources, non seulement de plaisir, mais aussi et surtout de liberté. Qu'ils nous servent d'escapade à un train-train si ennuyant qu'il devient parfois douloureux  ou d'antidote à une réalité abrégée par quelque tyran bigleux, les œuvres de fiction sont autant de visas de demandes d'asile vers des climats et des terres plus modérés.

    " Que ceux qui doutent que la littérature, qui nous plonge dans le rêve de la beauté et du bonheur, nous alerte, de surcroît, contre toute forme d'oppression, se demandent pourquoi tous les régimes soucieux de contrôler la conduite des citoyens depuis le berceau jusqu'au tombeau, la redoutent au point d'établir des systèmes de censure pour la réprimer et surveillent avec tant de suspicion les écrivains indépendants.  Ces régimes savent bien en effet, le risque pris à laisser l'imagination discourir dans les livres, et combien séditieuses deviennent les fictions quand le lecteur compare la liberté qui les rend possibles et s'y épanouit, contre l'obscurantisme et la peur qui le guettent dans le monde réel."

    Comment ne pas repenser au roman autobiographique d'Azar Nafisi "Lire Lolita  à Téhéran" , où l'acte même de posséder un ouvrage censuré devient plus qu'un moyen  d'évasion: il devient un moyen de révolte, susceptible d'arrestation, et pire; où lire devient une affirmation de respect de soi-même, un refus d'accepter une réalité travestie et imposée par un régime, qui n'a de cesse d'en gaver ses citoyens et à qui l'insoumis répond par un cri: "Rendez- [nous notre] imagination".  Car afin de contrôler les esprits, le régime doit tout d'abord se les approprier, tout comme Humbert s'approprie Lolita, commençant par lui donner un nouveau nom, mais aussi et surtout, une nouvelle réalité , une nouvelle histoire.
      
    Ce même cri entendu dans le roman d'Eric-Emmanuel Schmitt "Ulysse from Baghdad", où, le héros, jeune adolescent, découvre la caverne d'Ali Baba  de son père: la bibliothèque dissimulée et surnommée s a "Babel de poche", où sont cachés et entassés tous les romans, condamnés à la destruction par le régime de Saddam qui craint leur pouvoir subversif et contestataire.  "De ce jour, j'attrapai le goût de la lecture, ou de la liberté - ce qui s'équivaut - et employai mon adolescence à repérer le bourrage de crâne idéologique qu'on nous infligeait au lycée, à m'en protéger, tentant d'apprendre à penser d'une façon distincte, par moi-même".

    "Par moi-même ", ce sont aussi les derniers mots de  Cincinnatus mené à l'échafaud.  Cincinnatus, héros de l'"Invitation au Supplice" de Nabokov, qui, enfermé en prison attend son exécution , dans un régime totalitaire, que l'on devine être l'Union Soviétique .  "Cincinnatus n'entre jamais dans la logique de paroles qu'on veut lui imposer. […] Il est asservi, mais non assujetti."*  Arrivé à l'échafaud, il répète ces mots, "Par moi-même", qui le sauveront de la fin tragique que lui avait prévu le Régime, par le procédé de transformer  "le rêve en vie, et la vie en songe" comme nous le rappelle Lorca dans son essai.

    Si texte, dans son intégralité, est accessible sur la Toile depuis Décembre 2010, Gallimard vient de le publier sous forme de livret  - Gallimard, qui lorsque mis face au dilemme de "publier sous la botte ou pas" en 1941, prit le parti de continuer à publier (et entretint, en réalité, une attitude ambigüe tout au long de la guerre).  "J'ai assez d'argent pour me retirer en Amérique et y attendre la fin de la guerre. […] Mais ai-je le droit de ne pas défendre ce qu'on me laisse encore la possibilité de défendre?  Sans compter que je dois donner à mes écrivains la possibilité d'être édités, je sais trop ce qu'on pourrait faire en publiant des morceaux soigneusement choisis de Péguy ou de Proust par exemple, pour ne parler que de morts.  Je me méfie du détournement possible de grandes œuvres à des fins antifrançaises.  Moi présent, cela n'arrivera pas."**

    De nos jours, époque de la mondialisation, époque où en théorie, il est désormais si facile de lire la littérature du monde entier sur un même écran, il est bon de se faire rappeler l'importance de le faire:  si lire équivaut à la liberté, la littérature, et la culture en général, est l'outil qui nous permet d'atteindre cette liberté et de jeter nos idées reçues et préjugés dans les latrines des carcans qui nous empêchent de rêver et nous font craindre l'Autre.  Ainsi, Llorca continue:
    "La bonne littérature tend des ponts entre gens différents et, en nous faisant jouir, souffrir ou en nous surprenant, elle nous unit par-delà les langues, les croyances, les us et coutumes ou les préjugés qui nous séparent"
    " La littérature crée une fraternité à l'intérieur de la diversité humaine et éclipse les frontières érigées entre hommes et femmes par l'ignorance, les idéologies, les religions et la stupidité."

    Si  une bonne partie du monde jouit d'une liberté presque totale sur ce qu'elle peut lire et écrire, une autre partie, majoritaire celle-là, souffre encore sous le martellement débilitant de la censure, ce qui ne veut pas dire qu'ils restent silencieux et ont pour autant abandonné leurs rêves.

    Comme le dit si joliment Amin Maalouf, "L'avenir, n'est pas écrit d'avance, c'est à nous de l'écrire. "   
    Alors, à vos plumes, prêts, partez!

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